La «liste du peuple»De manifestants à rédacteurs de la Constitution
Les candidats indépendants ont crée la surprise dans l’élection de l’assemblée constituante du Chili, «des citoyens ordinaires qui n’ont jamais fait de politique».

Des manifestations de grande ampleur ont éclaté dans le pays après l’augmentation du prix du métro dans la capitale Santiago.
Femmes au foyer, avocats, militants écologistes ou des droits humains: ils sont d’abord descendus dans la rue pour dénoncer les inégalités sociales et vont désormais participer à la rédaction de la nouvelle Constitution du Chili. À l’origine, ils ne se connaissaient pas, mais avaient en commun la volonté de changer le modèle social d’un pays parmi les plus inégalitaires d’Amérique latine.
Les 15 et 16 mai, ils ont été élus pour participer à la future Assemblée constituante qui sera officiellement installée dimanche par le président conservateur Sebastian Piñera. Le nom de leur liste? La «Liste du peuple». Contre toute attente, dans la lignée d’un vote qui a plébiscité les candidatures indépendantes, cette liste citoyenne est arrivée en troisième position, derrière celle de la coalition de droite et celle de la gauche indépendante. Vingt-sept de ses membres ont été élus et vont participer pendant neuf mois minimum et douze mois maximum à la rédaction de la nouvelle Loi fondamentale pour remplacer celle héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). Un référendum sur le texte sera organisé à l’issue du processus.
«Des voix jamais écoutées»
La plupart de ces nouveaux Constituants se sont rencontrés sur la Plaza Italia à Santiago, épicentre de la vague de manifestations sans précédent qui a secoué le Chili fin 2019 et conduit, après un accord politique historique, à l’organisation d’un premier référendum sur un changement de Constitution.
De nombreux manifestants pointaient alors du doigt le texte comme le pivot du système économique ultralibéral mis en place pendant la dictature et un frein à toute réforme sociale de fond. Alejandra Pérez, femme au foyer de 43 ans, élue à Santiago, définit la liste comme un «groupe de manifestants mécontents du système». «Des voix qui n’ont jamais été écoutées auparavant», résume cette mère de trois enfants. Sur les 27 élus de la liste, 18 sont des femmes et neuf des hommes. Au total, 155 membres vont composer la Constituante, paritaire et dont dix-sept sièges seront occupés par des représentants des peuples autochtones.
«Marre de recevoir des ordres»
Pour Ingrid Villena, également élue dans la capitale, il s’agit de «rompre avec les paradigmes de la politique traditionnelle». Cette avocate de 31 ans, spécialisée dans les violences contre les femmes, souligne que ses électeurs sont «des citoyens ordinaires qui n’ont jamais participé à la politique» et font partie comme elle «du peuple».
«C’est le peuple souverain du Chili qui en a marre de recevoir des ordres, qui n’arrive pas à joindre les deux bouts, qui meurt dans un service hospitalier sans qu’on s’occupe de lui, c’est l’enfant qui se couche chaque soir avec des maux d’estomac dus à la faim», renchérit Rodrigo Rojas Vade, 37 ans, un autre élu de la Liste du peuple. «Nous représentons un Chili qui est respectueux, ouvert, inclusif, participatif, environnemental. C’est un changement de paradigme total», assure-t-il, en insistant sur la «participation citoyenne comme base d’un nouveau Chili».
«Constitution imposée par un dictateur»
Concrètement, reprenant les revendications lancées pendant la fronde sociale, la Liste du peuple défend le droit universel à l’accès à l’eau, dans un des rares pays au monde où il est totalement privatisé, le droit à un service public de santé et d’éducation de qualité, ou encore des retraites décentes. «Jusqu’à aujourd’hui, nous vivons dans une société dont les droits et libertés ont été restreints parce qu’une Constitution imposée par un dictateur est toujours en place», souligne Manuel Woldarsky, un avocat de 37 ans.
Ce défenseur des droits humains a décidé de se présenter à l’élection constituante un matin de novembre 2019, alors qu’il se trouvait dans un commissariat de police de la capitale pour assister les manifestants arrêtés par la police, pendant une nouvelle journée de contestation.
Ce même jour, les médias venaient d’annoncer l’accord entre les partis politiques chiliens ouvrant la voie au référendum sur un changement de Constitution et, le cas échéant, en fonction du résultat, la mise en place d’une Assemblée constituante citoyenne. «À ce moment-là, l’officier de police m’a dit: "Vous devriez vous porter candidat parce que vous défendez très bien ces gens-là"».
(L'essentiel/AFP)