Sécurité à Luxembourg«Des agents privés dans la rue, c'est la facilité»
LUXEMBOURG - Déi Lénk monte au créneau et conteste administrativement le retour d'agents privés de sécurité dans les quartiers de la Gare, et de Bonnevoie.

Ana Correia da Veiga et Guy Foetz, conseillers communaux Déi Lénk à la ville de Luxembourg, s'interrogent une nouvelle fois sur l'utilité des agents privés de sécurité.
La sécurité continue d’alimenter les débats à Luxembourg-Ville. Une semaine avant le retour des agents privés dans les quartiers de la Gare, et de Bonnevoie, le mouvement politique de gauche Déi Lénk apporte lui aussi sa pierre à l’édifice en introduisant deux recours devant le tribunal administratif. Les conseillers communaux Ana Correia da Veiga et Guy Foetz, entourés du député David Wagner, ont pris la parole, ce jeudi, lors d’une conférence de presse.
«On a l’impression que la sécurité, c’est le dernier argument du parti DP pour trouver des électeurs», envoie franchement Ana Correia da Veiga. «On sent que beaucoup de partis surfent actuellement sur cette vague dans toute l’Europe. La peur de l’immigrant, la peur du voleur… Mettre des agents privés dans la rue, c’est la facilité, d’autant plus qu’il n’y a pas de vision et de réflexion derrière tout ça. Ces agents jouent juste au chat et à la souris avec les délinquants. Toi, tu débarques, moi, je dégage, et ainsi de suite… Que se passera-t-il un jour si tout cela se termine devant un tribunal? Les agents privés ont-ils le droit de retenir quelqu’un? Sincèrement, on préfère la police ou les street workers, car ils imposent plus de respect».
«Les quartiers de la Gare et de Bonnevoie sont dans une mauvaise situation et c’est incontestable», complète Guy Foetz, «mais nous ne pouvons pas tolérer que le collège échevinal de Luxembourg agisse contre la Constitution et contre la loi en attribuant une mission de surveillance de la voie publique à une société de gardiennage privée. Les gardiens privés vont continuer de circuler sur la voie publique avec leurs chiens et dans la nouvelle convention conclue avec G4S, on va les inviter à surveiller les horodateurs et se déplacer de l'un à l’autre. C’est vraiment une mauvaise interprétation de la loi que l’on essaie de contourner. Formellement, c’est légal, mais dans la pratique, c’est anticonstitutionnel ».
«Quand on se retrouve dans la rue, c'est extrêmement violent»
Élue de la capitale et habitante du quartier de Bonnevoie, Ana Correia da Veiga dénonce aussi une certaine lecture des sondages de la ville et du ministère de la Sécurité intérieure. «On tire à boulets rouges sur le quartier de Bonnevoie, mais j’invite tout le monde à y venir», dit-elle. «Les terrasses sont pleines, les gens marchent dans la rue, chaque samedi, on va chercher notre panier de légumes devant l’église, et les sans-abri et les toxicomanes, on les connaît. On cohabite avec eux. Et pour que tout se passe bien, il faut du respect entre toutes les parties».
«Il n’y a pas une solution unique», reconnaît Guy Foetz. «Il faut un mélange de solutions. Au niveau de la répression, on aimerait que la ville ne compte que sur la police grand-ducale. On ne peut pas mettre un policier à tous les coins de rue et nous ne sommes pas dans un état policier. Pour cela, il faut prendre plus de mesures sociales, au niveau de la prévention de la toxicomanie. Il faut aider les toxicomanes. Et il faut aussi réorganiser les quartiers au niveau de la propreté, de l’éclairage et de la médiation entre les personnes qui y habitent et les drogués. Ce n’est pas un problème facile à résoudre et on ne dit pas que la ville ne fait rien. Nous avons voté le budget pour le projet «À Vos Côtés», car cela va dans la bonne direction, mais il faut amplifier ce mouvement. Quand on se retrouve à la rue, c’est extrêmement violent et il faut offrir à ces gens la possibilité de se replier quelque part. Ce serait un début pour les amener à changer de mode de vie».
«Ramenons de la vie dans les quartiers»
Et Ana Correia da Veiga d’avancer une première piste pour celles et ceux qui ne se sentent pas en sécurité dans les quartiers. « Il y a deux ans, j’ai suivi un cours de prévention auprès de la police», dit-elle, «et cela m’a permis de récupérer de la force. Je peux encore avoir peur, mais je sais désormais comment mieux réagir pour me protéger. Quand je vois quelque chose de bizarre, je change de trottoir, je ne vais pas chercher les emmerdes. Je réponds à ceux qui m’appellent «Baby» dans la rue et cela me renforce dans mon intégrité personnelle. Je ne discute pas de politique et de valeurs avec ces personnes, mais j’essaie au moins de leur tenir tête en leur répondant. Ce sont des réflexes qui s’apprennent. Quand on me demande de l’argent dans la rue, je n’en donne pas, car je ne veux pas contribuer à la consommation de ces gens-là».
«Par rapport au contexte sanitaire actuel lié au Covid, on peut dire que cette crise a amplifié la misère», regrette Guy Foetz. «Elle a amplifié les différences sociales et il faut en tenir compte pour préparer le moment où on va revenir à une situation normale. Aujourd'hui, on observe plus de pauvreté qu’il y a deux ans. Consommer de la drogue et se retrouver à la rue, ça dépend directement de cela». « Il faut revaloriser les quartiers proches de la Gare», conclut Ana Correia da Veiga. «Les commerces sont à moitié vides, les rues sont sales, les chantiers se multiplient. Tout cela n'améliore pas les choses. On oublie le côté esthétique des quartiers. Les terrasses ont désormais plus de places et profitons-en pour occuper l’espace public quand il fait beau. Ne laissons pas la place à d’autres incivilités. Il faut ramener de la vie dans le quartier pour améliorer la situation».
(Frédéric Lambert/L'essentiel)