Maria Teresa – «J'ai dû me battre contre certains a priori, oui»

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Maria Teresa«J'ai dû me battre contre certains a priori, oui»

LUXEMBOURG - À l'occasion de la Journée internationale des droits de la femme, la Grande-Duchesse Maria Teresa a accordé une interview exclusive à «L'essentiel».

Sophie Margue

En cette journée particulière, la Grande-Duchesse Maria Teresa se livre sur son travail à travers «la Fondation du Grand-Duc et de la Grande-Duchesse», partage son regard sur la pandémie et se confie sur «la force» de son amour pour son époux Henri. Entretien.

L'essentiel: Ce lundi 8 mars, la philosophie inclusive de votre Fondation prend tout son sens…

La Grande-Duchesse Maria Teresa: Absolument, et c'est le cas tous les jours. En cette période particulièrement, les femmes sont les plus vulnérables. Elles souffrent énormément, tant sur le plan matériel que psychologique.

Le forum «Stand Speak Rise Up» a été un grand succès. Quels résultats ont été obtenus?

Les survivantes invitées ont fait ressortir la problématique du statut des orphelins nés du viol de guerre, et de la double peine qu'elles subissaient. Une problématique qui n'avait pas été très abordée sur le plan international. Mais la plus grande réussite, c'est que beaucoup d'entre elles sont devenues les porte-flambeaux de la cause en prenant la tête d'associations dans leurs pays respectifs.

La création de l’association SSRU, à la suite de mon Forum, a également permis la mise en place des projets de soutien aux survivantes, pour répondre à la question de la famine durant la pandémie! Des microprojets économiques de culture, d'élevage… afin qu'elles puissent générer des revenus dans les zones les plus démunies.

La pandémie a-t-elle entraîné de nouveaux besoins, y compris au Luxembourg?

Oui, nous avons réalisé que les familles monoparentales (souvent les femmes qui élèvent seules leur(s) enfant(s)) vivent sous le seuil de pauvreté et deviennent fragiles psychologiquement. Ça peut être la même chose pour des étudiantes, ce qui me touche beaucoup.

D'où les idées de fournir des bourses aux jeunes mères qui poursuivent leurs études et de développer un projet de coaching/formation pour les femmes sans diplôme. Je n'oublie pas non plus l'isolement de certaines personnes âgées, à qui nous avons donné des iPad pour qu'elles puissent garder le contact avec leur famille. J’ai pu discuter avec un certain nombre d'entre elles.

Quel est, selon vous, le plus grand combat à mener pour les droits des femmes?

La lutte contre les violences. Le forum a montré le côté extrême de l’horreur, mais la violence est aussi chez nous en Europe, partout. Les violences domestiques ont explosé durant la période du Covid. Vient ensuite la question fondamentale de la précarité.

Quelle est votre opinion sur les nouveaux mouvements féministes?

Je ne peux qu'être favorable à toute justice sociale pour les femmes. Ce combat a mon adhésion totale. Dans le fond, on est juste en train de demander les mêmes droits pour les femmes que pour les hommes.

Avez-vous déjà eu le sentiment d’être renvoyée à un rôle de femme?

Inévitablement. Je suis consciente de ma situation privilégiée, et je ne cherche pas à me plaindre. Mais il y a des domaines dans lesquels on a voulu m'enfermer dans un rôle de femme, sans me permettre de faire les choses comme je désirais les faire. Parfois, c'est un véritable combat pour se faire entendre, se faire respecter. Beaucoup de femmes me contactent à ce sujet et demandent mon aide et mon intervention.

Y compris avec votre statut de Grande-Duchesse?

Les combats dont je parle, je les ai menés parce que j'y crois mais aussi par devoir. Cela donne de la visibilité aux causes, à notre pays et à l'institution, donc au chef de l’État. J'ai la grande chance d'avoir le soutien total de mon mari. C'est une force colossale, mais j'ai dû me battre contre certains a priori, oui.

Comment vivez-vous cette pandémie mondiale?

Nous avons moins de contacts avec la population et je le regrette. Je compense par des visioconférences, des appels téléphoniques aux associations et aux personnes vulnérables. La pandémie a fait ressortir à quel point nous sommes des êtres sociaux. Nous avons besoin d'être avec les autres, de nous toucher, de nous embrasser. Qu'est-ce que cela me manque avec mes enfants et petits-enfants!

Je constate aussi que nous avions une méchante tendance à regarder de haut certaines professions qui sont en réalité essentielles. Les personnes qui travaillent dans l'agriculture, les caissières, ceux qui veillent à la propreté de nos villes, j’ai toujours considéré qu'ils faisaient de grands métiers. Et nos infirmières, nos aides-soignantes, quel courage! Ils et elles ont toute mon admiration.

Avez-vous déjà été vaccinée?

Non, ma tranche d'âge n'est pas encore concernée, j'attends mon tour, mais je le ferai bien entendu. On a tous envie de pouvoir embrasser nos petits-enfants à nouveau.

Quel sera le visage du Luxembourg après l’épidémie?

Je ne peux qu'espérer qu'il y aura une grande prise de conscience concernant ceux qui sont vulnérables. Nous sommes une société extrêmement privilégiée. J'espère que le Luxembourg aura un visage encore plus humain, encore plus écologique, encore plus respectueux de la nature. Car ces pandémies n’arrivent pas pour rien...

Cette période a-t-elle encore renforcé les liens familiaux au sein de la famille grand-ducale?

Nous étions déjà très unis, mais le manque a accentué le besoin des siens. Les naissances des enfants ont été d'énormes moments de bonheur, une lumière dans un moment d'incertitude. Nous avons été très touchés de voir la réaction du pays à la naissance du petit Charles, qui nous donne tellement de bonheur.

Le rôle fédérateur du couple grand-ducal n’est-il pas encore plus important aujourd’hui?

À vous de me le dire! Dans les moments de crise, la monarchie joue un rôle fédérateur et rassembleur. Mon mari et moi avons reçu beaucoup de témoignages nous remerciant d'être là. Comme depuis toujours...

Vos 40 ans de mariage ont dû être très émouvants...

C'était un très grand moment! Ces années sont passées tellement vite. Entendre les phrases de l'un et l'autre au cours des interviews accordées a été très touchant pour nous deux. Je souhaite à tous les couples de vivre un amour aussi fort.

Comment voyez-vous vos années futures en tant que Grande-Duchesse?

En continuant mon travail tel que je l'ai toujours fait. On ne se rend pas souvent compte de l'énorme travail que constituent les fondations et associations. Derrière les actions, il y a des financements. Faire prendre conscience et récolter des fonds, c'est le nerf de la guerre.

Vous avez acquis un appartement à Biarritz. Pourquoi le sud-ouest de la France?

Cet endroit nous a beaucoup plu. Il est tout près de la région d'Espagne où j'ai grandi. Cela m'a rappelé beaucoup de souvenirs. Je suis née à Cuba, sur l'Atlantique, j'ai passé mes étés à Santander. Biarritz est notre petit cocon à tous les deux.

Pour conclure, quel message souhaitez-vous passer aux plus jeunes et aux femmes?

Un message de courage et d'espoir. Un proverbe africain dit que «les femmes portent le continent à bout de bras». Et c'est vrai! J'ai l’espoir que notre rôle clé soit plus reconnu. Que les hommes nous soutiennent. Tout le monde sera gagnant.

(Recueilli par Thomas Holzer)

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