Jeux de hasard: quand rien ne va plus

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Jeux de hasard: quand rien ne va plus

Mercredi, l'association des joueurs pathologiques reçoit un prix de la Fondation Kannerschlass.

L'essentiel: Quelle est la réalité de la dépendance au jeu au Luxembourg?

Romain Juncker président de l'association Anonym-glecksspiller et ancien joueur pathologique: Jusqu'ici on n'en parlait pas et du coup on ne la traitait pas. Aucune étude n’a encore été réalisée sur le sujet. Si on reporte le pourcentage de joueurs pathologiques par habitant observé dans les pays voisins, on obtient une estimation de 4 000 pour le Luxembourg.

Mais la réalité est tout autre car un joueur va impacter de 10 à 15 personnes dans son entourage.
Le nombre de coups de fil que nous recevons nous donne en plus à penser que ce chiffre est en hausse. Nous en sommes à 20 ou 30 appels par semaine, souvent des proches qui s’inquiètent, et parfois jusqu’à cinq consultations. L’Administration de l’emploi (Adem) nous contacte également pour des renseignements ou nous envoie des gens qui ont des problèmes.

Qu'est-ce qui favorise cette augmentation?

Nous avons en ligne de mire un jeu comme le Zubito alors que la loi dit: «pas de jeu de hasard dans les cafés». Le mélange du jeu et de l’alcool est néfaste car l’alcool fait tomber les inhibitions et ce jeu est présent dans quelque 150 cafés.

Nous assistons également à un boom des jeux comme le poker. La présence du poker sur des chaînes de sport contribue à l’apparenter à un sport et non plus comme un jeu d’argent.
Mais surtout l’offre se développe en ligne avec des jeux de hasard ou encore des jeux comme World of Warcraft (WOW).

Mais WOW n'est pas un jeu d'argent.

Certes, mais mis à part l'endettement, l'engrenage est le même: le joueur se sent bien dans son monde, perd la notion du temps, se désocialise et doucement le jeu tourne à l'obsession, jusqu'à tout perdre. L’Adem nous avait ainsi envoyé un jeune qui n’a jamais terminé ses examens de fin d’études à cause de WOW, qui a perdu sa copine et qui s’est retrouvé avec plus rien au monde.

Quand se rend-t-on compte qu’on est dépendant au jeu ?

Très rapidement, même si on ne veut pas se l’avouer. Au départ vous jouez parce que vous vous sentez bien, que le jeu vous aide à oublier vos soucis. Puis la fréquence augmente jusqu’à ce que vous ne puissiez plus vous en empêcher.

Le jeu n’est pas une substance mais, singulièrement le manque se traduit par des symptômes physiques : maux de tête, crampes d’estomac, crises d’angoisse… En même temps, vous négligez votre vie sociale. Rester dîner avec des amis devient insupportable, car c’est du temps que vous ne passez pas à jouer. Et vous en arrivez même à devenir désagréable pour pouvoir vous éclipser plus vite. Vous multipliez les dettes et les cartes de crédits. Il devient alors difficile de faire marche arrière ne fût-ce qu’à cause de la honte de parler de votre problème.

Face au dettes qui s’accumulent, vous rejouez en pensant pouvoir vous refaire. Et finalement quand vous arrivez à vous arrêter, même après une thérapie réussie, vous ne repartez pas à zéro, car vous êtes toujours confronté à votre problème de dette.

Comment l'entourage peut-il réagir?

Il faut ouvrir les yeux sur le problème et l’aborder avec le joueur même si c’est difficile. L’inciter à consulter. Mais surtout quand on n’arrive plus à raisonner le joueur, il faut penser à se protéger, soi et les enfants car un joueur peut entraîner ses proches dans sa chute financière.

Quels sont des exemples d’actions concrètes sur le terrain? Comment faites-vous bouger les choses?

Nous organisons des groupes d’entraide. Nous redirigeons les joueurs en recherche d’un traitement vers le centre thérapeutique de Münchwies pour les germanophones et celui de Berus pour les francophones.
Nous avons entamé un travail sérieux avec le Casino 2000. Quand un joueur souhaite se faire interdire d’entrée mais est effrayé à l’idée de retourner pour faire la demande de peur de rejouer, nous pouvons nous occuper de l’administratif pour lui.

Mais l’idéal ce serait une Commission des jeux de hasard comme en Belgique. Nous travaillons également avec le Service de surendettement pour aider les anciens joueurs à gérer le remboursement de leur dettes, car au Luxembourg, il n’y a pas la possibilité d’une mise en faillite personnelle comme dans d’autres pays.

Depuis que nous avons adressé la question de la dépendance au jeu à la chambre, nous assistons à un début de prise de conscience. Nous réalisons actuellement une enquête en collaboration avec le ministère auprès des 12-18 ans. Nous ne lâcherons pas les politiciens. Nous plaidons pour un investissement dans la prévention.

Propos recueilli par Séverine Goffin.

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