Interview de Karim Leklou«Luxembourg ferme tôt, mais c’est un pays de cinéma»
À l’occasion de la présentation du film «Vincent doit mourir», Karim Leklou, acteur montant du cinéma français («Un prophète», «Bac Nord», «Hippocrate»), se confie sur sa vision du métier et aussi sur ses souvenirs du Luxembourg. Entretien.
- par
- notre envoyé spécial à Cannes Thomas Holzer

Karim Leklou dans «Vincent doit mourir».
L’essentiel: «Vincent doit mourir» raconte l’histoire d’un homme que tout le monde veut tuer. Cela vous a rappelé certaines journées?
Karim Leklou, acteur: Oui, des journées au cours desquelles rien ne va. Quand on se dit qu’on aurait mieux fait de ne pas sortir du lit. Après j’ai de la chance, je ne vis pas le calvaire de ce personnage, sinon je ne sortirais plus de chez moi. Après c’est aussi un film qui interroge sur la parano.
Et sur la violence de la société?
Je ne dirais pas qu’il s’agit d’une dénonciation moralisatrice, car c’est un film de genre, avec une histoire d’amour un peu particulière. Mais bien sûr, il y a une connotation sociétale, sur la violence en entreprise, les violences contre les femmes, les enfants, les vieux. La violence d’État aussi.
Trouvez-vous la société plus violente?
D’un point de vue social oui. Les écarts en termes de répartition des richesses, je trouve cela d’une violence inouïe. Les fortunes accumulées par les milliardaires, le démantèlement des services publics en Europe, le manque de moyens à l’hôpital aussi sont des vrais problèmes. Je suis en train de tourner la troisième saison de «Hippocrate», et ça respire fort! La violence politique entraîne ensuite de la violence physique.
Avant de faire du cinéma, vous avez connu les petits boulots…
Oui à l’âge de 18 ans. Cela me permet de rester connecté à la réalité. Si j’avais commencé à 20 ans, je n’aurais pas été prêt mentalement. Je déteste quand on parle de la souffrance dans le cinéma. C’est une souffrance très bourgeoise. Et puis il faut qu’on arrête de se la raconter. Nous sommes le cinéma européen, finalement très artisanal. Ce n’est pas Hollywood.
En parlant de sujets politiques, comment avez-vous vécu la polémique autour de «Bac Nord» en 2021? (NDLR: Un journaliste avait ironisé à Cannes sur son «envie de voter Le Pen» après avoir vu le film, ce qui avait déclenché un débat autour de la sécurité en France)
Avec beaucoup de recul. Le cinéma doit rester du cinéma. Si la politique a besoin d’une fiction pour faire du réel, c’est qu’elle est tombée bien bas. Je suis un acteur, j’incarne un personnage. Et je sais que le réalisateur n’avait pas la volonté que le film soit perçu de cette manière. Après, on a le droit de ne pas être fan. Mais certaines choses qui ont été dites sur «Bac Nord» me laissent encore perplexe…

Le «JDD» vous a décrit comme «l’acteur qui s’impose» dans le cinéma français…
C’est très gentil, mais je garde de la distance par rapport à cela. D’autant plus que ces points de vue sont assez subjectifs. Acteur, c’est mon métier. Je préfère me concentrer sur mes rôles. Pourquoi je suis discret? Car la vie privée doit rester privée. Ça n’intéresse personne de savoir ce que j’ai mangé hier à midi…
Rêvez-vous de travailler avec certains réalisateurs?
J’ai appris une chose au cours de la carrière: il ne faut pas être dans le fantasme. J’ai déjà fait des films avec des grands réalisateurs et des gens que j’aime. Ce n’est pas la politique du nom qui fait un bon film, mais l’histoire que l’on raconte. Après je ne cache pas que certaines rencontres m’ont rendu fou de joie.
Vous avez déjà tourné au Luxembourg. Quelle image en gardez -vous?
J’ai été fasciné par vos forêts et par les grands espaces qui permettent des tournages. Par contre, ça serait bien que Luxembourg-Ville ouvre un peu plus tard. Je me rappelle d’un pays qui se lève très tôt, mais qui ferme vite. Et c’est un peu absurde, mais le Grand-Duché m’évoque aussi des rencontres de qualifications pour des Coupes du monde de football ou des Euros, avec Jeff Strasser comme joueur (rires). En tout cas, c’est un pays de cinéma qui permet à beaucoup de projets européens de se faire. Et ça c’est fantastique!