Santé – L'insolente santé des centenaires cubains

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SantéL'insolente santé des centenaires cubains

Malgré des conditions économiques difficiles, les Cubains sont en bonne santé comme l'illustrent ses nombreux centenaires.

L'île compte 2 070 centenaires pour 11,2 millions d'habitants et une espérance de vie de 79,5 ans: des chiffres similaires à ceux d'un pays riche. (Jeudi 4 juillet 2019)

L'île compte 2 070 centenaires pour 11,2 millions d'habitants et une espérance de vie de 79,5 ans: des chiffres similaires à ceux d'un pays riche. (Jeudi 4 juillet 2019)

Face au miroir, Delia Barrios applique fard à joues et rouge à lèvres: elle veut être la plus belle pour fêter ses 102 ans, entourée de ses proches comme nombre de centenaires cubains, dont la longévité intrigue les experts. «Je n'ai pas l'impression d'avoir cet âge. J'ai une famille qui m'aime beaucoup, cela aide à se sentir bien», confie-t-elle, en maniant habilement son fauteuil motorisé, avec sur ses genoux son arrière-arrière-petite-fille Patricia, âgée de sept ans.

Sur le gâteau d'anniversaire, seules deux bougies ont été disposées. Delia les souffle sous les applaudissements de la trentaine d'invités, dans la cour d'un immeuble du quartier Playa, à La Havane. À la soixantaine, les médecins lui avaient diagnostiqué un cancer du colon et donné un an à vivre. Elle a démenti leur pronostic puis quitté Cuba en 1993, en pleine crise économique, pour les États-Unis où réside son fils.

Spécificité cubaine

Mais en 2013, «je tombais presque chaque semaine, donc la médecin m'a dit: "Vous ne pouvez plus vivre seule"». Delia, qui raconte avoir «beaucoup dansé» dans sa vie, fumé et bu «avec modération», est rentrée à Cuba et cohabite avec sa petite-fille Yumi, 59 ans. L'île compte 2 070 centenaires pour 11,2 millions d'habitants et une espérance de vie de 79,5 ans: des chiffres similaires à ceux d'un pays riche, alors que le salaire public moyen n'y est que de 30 dollars par mois.

La spécificité cubaine interpelle les spécialistes. Certes «le soutien familial tend à favoriser la longévité, on voit cela au Japon», note Robert Young, directeur du Groupe de recherche sur la gérontologie (GRG), aux États-Unis. Le climat chaud aide également. Mais clamer que dans un pays, on vit plus longtemps qu'ailleurs, c'est aussi «à des fins de propagande idéologique». Selon Vincent Geloso, professeur d'économie au King's University College au Canada et auteur d'un article sur le sujet pour l'université d'Oxford, les médecins cubains «ont des chiffres à atteindre, sinon ils sont punis».

Manipulations

Il évoque des manipulations statistiques similaires à celles pratiquées en URSS: des mortalités néo-natales comptabilisées comme décès de fin de grossesse pour ne pas grossir les taux de mortalité infantile, ce qui réduirait l'espérance de vie. Pourtant, «même dans le pire scénario de manipulation, Cuba demeure un endroit à haute espérance de vie par rapport à son niveau de revenus», relève M. Geloso. Pour expliquer ce «paradoxe», il avance notamment un facteur: «Cuba a un des plus bas taux de possession automobile pas parce que les Cubains n'aiment pas conduire mais parce qu'ils ne peuvent pas acheter de nouvelles voitures», ce qui diminue les risques d'accidents de la route.

Il cite aussi les restrictions alimentaires durant la période spéciale (crise économique des années 90) qui ont réduit le diabète, ou les «mesures coercitives de santé publique», comme la mise en quarantaine de séropositifs dans les années 80. «Cuba réussit très bien à garder les gens en vie très longtemps», dit M. Geloso. «Mais si on offrait aux Cubains le choix entre une année de vie en plus et, par exemple, des revenus plus élevés ou une éducation différente, qu'est-ce qu'ils choisiraient?».

(L'essentiel/afp)

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