Massacre à Boutcha - Les images «ne suffiront pas» pour juger les crimes de guerre

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Massacre à BoutchaLes images «ne suffiront pas» pour juger les crimes de guerre

Un expert explique pourquoi les images de Boutcha ne constituent pas une preuve de crime de guerre. Il faudra enquêter avant de tirer des conclusions.

Executive director of Trial International, Philip Grant, poses during an interview with AFP at the NOG's headquarters in Geneva on April 5, 2022. - Shocking images bodies strewn in Ukrainian streets recently occupied by Russian troops indicate war crimes, but legally proving that and holding those responsible accountable could be tricky, according to a top international justice expert. (Photo by Fabrice COFFRINI / AFP)

Philip Grant est directeur de l'ONG Trial, spécialisée dans la lutte contre l'impunité en matière de crimes contre l'humanité.

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Les images choc de corps éparpillés sur une route de la ville ukrainienne de Boutcha évoquent des crimes de guerre, mais apporter une preuve juridique et plus encore juger les coupables est un exercice fastidieux, a mis en garde un expert international. Philip Grant, directeur de l'ONG Trial, spécialisée dans la lutte contre l'impunité en matière de crimes contre l'humanité, prévient d'emblée lors d'un entretien avec l'AFP: «Les images en elles-mêmes comptent rarement comme preuves déterminantes».

«Elles peuvent révéler des éléments importants, mais ne révéleront pas toute l'histoire», ajoute-t-il, en recommandant de rester «prudent» et en rappelant les manipulations passées et les interprétations erronées. Le souvenir du faux massacre de Timisoara en Roumanie en 1989 reste vivace. De même que celui, bien réel, de Katyn en 1940, perpétré par l'Union soviétique qui en a accusé les Nazis.

Des civils visés, mais par qui?

La diffusion dans les médias internationaux de photos et de vidéos prises à Boutcha et montrant des corps dans la rue, certains les mains liées dans le dos ou partiellement brûlés, ainsi que des fosses communes, a provoqué l'indignation internationale. Les autorités ukrainiennes affirment que les soldats russes ont massacré des civils, ce que Moscou dément, accusant les autorités ukrainiennes d'avoir mis le tout en scène.

Field engineers of the State Emergency Service of Ukraine stand next to destroyed armoured vehicles on a street in the town of Bucha, on the outskirts of the Ukrainian capital Kyiv on April 5, 2022. (Photo by Genya SAVILOV / AFP)

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Dans le cas précis de Boutcha «il semble assez clair que des crimes de guerre ont été commis», dit M. Grant. L'Office de la haute commissaire des droits de l'homme de l'ONU a ainsi estimé mardi que «tout pointe vers le fait que des civils ont été ciblés délibérément» ce qui constitue de facto un crime de guerre. Mais Philip Grant insiste: les images seules ne permettent pas «d'attribuer cette responsabilité à une personne ou à un groupe précis».

Même si vous déterminez que «les Russes l'ont fait», explique t-il, «nous devons savoir qui a ordonné cela». «Est-ce Vladimir Poutine? Est-ce le commandant sur le terrain? Est-ce une unité de voyous?» «En termes de responsabilité pénale, il est trop tôt pour dire qui devrait se retrouver devant un tribunal pour ces crimes», souligne-t-il. Un processus qui peut être long et compliqué.

Crime et châtiment

La Cour pénale internationale, le Conseil des droits de l'homme des Nations unies et un nombre croissant de pays veulent enquêter sur les crimes de guerre en Ukraine, depuis l'invasion par la Russie, le 24 février, mais M. Grant prévient qu'ils auront «du pain sur la planche». Le premier pas dans toute enquête de ce type est de «s'assurer qu'un crime a été commis». «Cela peut sembler évident, mais ne l'est pas toujours», rappelle M. Grant, surtout dans un contexte de guerre.

En temps de guerre, tuer des gens peut être légal: la mort d'un soldat au combat n'est pas considérée comme un crime, mais si on le tue après qu'il ait été blessé ou fait prisonnier, c'en est un. Si des soldats sont tués au combat et inhumés dans une fosse commune, cela ne constitue pas un crime. Mais «si vous trouvez dans le charnier une famille, des civils, alors c'est probablement un crime», explique le spécialiste.

EDITORS NOTE: Graphic content / Policemen and city workers carry six partially burnt bodies into body bags as reporters attend in the town of Bucha on April 5, 2022, as Ukrainian officials say over 400 civilian bodies have been recovered from the wider Kyiv region, many of which were buried in mass graves. - Bucha had been occupied by Russian troops, but when they withdrew recently Ukrainian authorities and independent international journalists including AFP found bodies of people in civilian clothing, some with their hands tied behind their backs. (Photo by Genya SAVILOV / AFP)

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Des centaines de responsables potentiels

Une fois qu'on a déterminé qu'un crime a été commis, vient la tâche souvent bien plus complexe de déterminer qui en est responsable. Les crimes de guerre impliquent «de nombreuses strates» de responsabilité dans toute la chaîne de commandement et «jusqu'au sommet», selon M. Grant. Dans ce dernier cas, le plus difficile est «d'avoir accès aux suspects», a-t-il ajouté.

Si les enquêtes ukrainiennes «indiquent la responsabilité pénale de Poutine, vous devrez mettre la main sur la personne». «Cela ne va pas être quelque chose de facile», mais «c'est possible», estime-t-il. Il n'y a pas de délai de prescription pour les crimes de guerre. Outre le président Poutine lui-même, «il y a probablement des centaines de personnes dans l'appareil de sécurité qui pourraient à un moment donné être tenues pour responsables, sans même parler des soldats sur le terrain», selon M. Grant.

(AFP)

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