Dans les Balkans – Les Kosovares en guerre contre le patriarcat

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Dans les BalkansLes Kosovares en guerre contre le patriarcat

Le droit des femmes avance doucement dans ce pays fraîchement formé, désormais présidé par une femme. Mais moins de 13% d’entre elles travaillent.

La nouvelle présidente Vjosa Osmani après sa prestation de serment le 4 avril 2021.

La nouvelle présidente Vjosa Osmani après sa prestation de serment le 4 avril 2021.

AFP

Comme tant d’autres, Vasfije Krasniqi-Goodman a été violée durant la guerre du Kosovo (1998-99). Mais elle est la seule à avoir osé le raconter publiquement. Elue députée, elle veut lutter pour les droits des femmes souvent traitées en citoyennes de seconde zone. Aux dernières législatives, les femmes ont atteint un niveau de représentation politique inédit dans l’Histoire du jeune Etat longtemps dominé par les figures masculines du combat pour l’indépendance, proclamée en 2008.

Les députées sont à un nombre record tandis qu’une femme a été choisie comme présidente de l’ancienne province de Belgrade. Nourrie par la colère face à l’absence d’opportunités économiques, aux préjugés sexistes et patriarcaux, la soif de changement est grande au Kosovo comme ailleurs dans le monde où déferle depuis quelques années la vague #MeToo. Mais le chemin vers l’égalité s’annonce tortueux.

Selon une étude publiée en 2019 par une ONG, seules 12,6% des Kosovares ont un travail dans le territoire de 1,8 million d’habitants où la responsabilité des enfants incombe quasi exclusivement aux femmes. D’après les dernières données officielles, 15% des femmes seulement possèdent des titres de propriété. Pour Vasfije Krasniqi-Goodman, 38 ans, le combat a commencé avec la défense des femmes violées, leur reconnaissance en tant que victimes de guerre et leur droit à dénoncer ces crimes sans subir l’opprobre de la société.

«La voix des victimes»

«Je suis la voix des victimes de violences sexuelles mais la sphère de mon combat s’élargit à toutes les questions qui touchent» les femmes, dit-elle. Elle a été violée à l’âge de 16 ans par deux Serbes, dont un policier. Selon les estimations officielles, quelque 20’000 Kosovares ont été victimes de viols pendant la guerre de 1998-99 entre la guérilla albanaise et les forces serbes. Personne n’a été condamné pour ces crimes, en Serbie comme au Kosovo. La nouvelle députée est la seule à avoir parlé du calvaire subi.

Vasfije Krasniqi-Goodman a vécu deux décennies aux Etats-Unis avant de revenir avec sa fille cadette pour siéger au Parlement.«Je quitte ma vie en Amérique pour apporter ma contribution au Kosovo» en menant des projets en faveur des femmes afin de «vraiment améliorer leur vie», avait-elle expliqué à l’AFP avant le scrutin en février. Au-delà, elle souligne vouloir défendre tous les droits humains. Avec l’arrivée aux commandes du mouvement réformiste de gauche Vetëvendosje (VV) d’Albin Kurti, les femmes sont en meilleure position pour se faire entendre.

«N’arrêtez pas d’avancer»

Elles occupent plus d’un tiers des 120 sièges de députés, deux postes d’adjointes au Premier ministre, plusieurs ministères régaliens et la présidence. «Les femmes ont le droit d’être là où elles le veulent», avait lancé à peine élue la présidente Vjosa Osmani, juriste ultra populaire de 38 ans. «N’arrêtez pas, n’arrêtez pas d’aller de l’avant. Tous vos rêves peuvent devenir réalité». Sa désignation montre que la politique «n’est pas que le domaine des hommes», commente Luljeta Demolli, directrice du Centre pour les études de genre.

Mais le sexisme ordinaire n’a pas tardé à se manifester. Au moment même de l’élection de Mme Osmani, un député et professeur de sciences politiques évoquait sur les réseaux sociaux une figure féminine de l’ère ottomane dotée d’un «ventre comme une barrique» et d’un «visage gonflé et rouge comme un poivron». Face au tollé et aux appels à son limogeage, Ardian Kastrati a retiré sa publication et assuré qu’il ne visait pas la cheffe de l’Etat. Pour beaucoup, l’égalité reste un mirage dans ce coin pauvre d’Europe où le salaire moyen est de 500 euros.

«Inégalité économique»

«L’inégalité de genre commence avec l’inégalité économique», constate Leonida Molliqaj, sociologue de 28 ans. «On vit dans un pays très pauvre, où les maris sont aussi victimes de pauvreté. Ils acquièrent une mentalité d’oppresseurs envers ceux qui possèdent encore moins, à savoir les femmes». Sous couvert d’anonymat, une coiffeuse de 30 ans, titulaire d’un diplôme de management, raconte les brimades subies durant «au moins 40 entretiens» pour décrocher un poste dans son secteur.

«Ils m’humiliaient. Ils me donnaient des conseils d’ami en me demandant de ne pas perdre mon temps car le management, c’est pour les hommes, pas les femmes», dit celle qui a depuis ouvert un salon à Pristina et devenant sa propre patronne. La prise de conscience par les femmes de leurs droits avance. La révolte gronde, en particulier contre les violences domestiques qui ont été exacerbées par la pandémie du coronavirus, avec 2069 cas recensés en 2020 contre 1500 en 2018, selon la police.

A la suite du meurtre en mars par son ex-mari d’une mère de famille de 44 ans, Sebahate Morina, ils étaient nombreux à descendre dans la rue à Pristina pour exiger: «Pas une de plus!». Certaines se prennent à espérer. «Les jeunes représentent un énorme potentiel», souligne Leonida Molliqaj. «Il n’y a jamais eu autant de militantisme, jamais autant de jeunes femmes intéressées par le féminisme».

(L'essentiel/AFP)

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