Guerre commercialeLes spiritueux veulent éviter la gueule de bois
Victimes collatérales de la guerre commerciale entre les États-Unis et l'UE, le secteur des spiritueux (bourbon, whisky, cognac) tente au maximum de passer entre les gouttes.

Un rayon de bouteilles de bourbon à Louisville, dans le Kentucky, en juin 2018.
Bourbon du Kentucky, whisky d’Écosse et peut-être bientôt cognac français, se retrouvent bien malgré eux pris dans la tourmente de la guerre commerciale. De rencontres en soirées-cocktails, les représentants du secteur des spiritueux tentent au maximum de passer entre les gouttes. «Jamais je n'aurais imaginé que l'industrie américaine du whisky puisse être touchée par des mesures de représailles à des taxes touchant l'acier et l'aluminium», se désole Amir Peay, patron de la distillerie James E. Pepper à Lexington, dans le Kentucky.
Il se préparait tout juste à s'étendre en Europe, en y investissant dans un entrepôt, en achetant un nouveau format de bouteilles, en contactant des distributeurs, quand, en juin 2018, Bruxelles a riposté à des sanctions américaines en imposant une taxe de 25% sur l'importation de tous les whiskys américains, dont le bourbon du Kentucky.
«Sommet du W8»
La cible n'était pas innocente: c'est l’État du président républicain du Sénat, Mitch McConnell. Mais la décision a pris de court les acteurs du secteur. «Je l'ai appris quand un journaliste m'a réveillé à six heures du matin pour me demander ce que ça faisait d'être un pion dans la guerre commerciale», se souvient Eric Gregory, président de l'Association des distilleries du Kentucky. «Ma première réaction a d'abord été "ouah, le bourbon est vraiment devenu célèbre", puis rapidement "oh mon dieu, que va-t-il nous arriver», raconte-t-il à l'AFP.
Au dernier relevé de la Fédération américaine des spiritueux (Discuss), la nouvelle taxe a fait chuter les exportations de whiskys américains vers l'Union européenne de 28%. Tous se sont pourtant démenés, multipliant les rendez-vous avec les législateurs, les lettres aux responsables du commerce des deux côtés de l'Atlantique, les interventions dans les médias. Un «sommet du W8», regroupant les huit plus grandes associations de whisky au monde, a aussi été convoqué en juillet 2018 à Louisville, dans le Kentucky.
L'UE a plus à perdre
C'était juste au moment où le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, rendait visite à Donald Trump, à Washington. «Ils ont alors affirmé que les négociations avançaient bien. Un an et demi plus tard, la situation ne fait que s'envenimer», déplore M. Gregory. Pour une histoire de subventions impliquant Airbus et Boeing, l'administration américaine impose depuis octobre une taxe de 25% sur les importations de whisky single malt d’Écosse et d'Irlande, ainsi que sur certains vins et liqueurs.
Selon une proposition soumise à des commentaires publics jusqu'au 13 janvier, cette taxe pourrait être relevée à 100% et s'appliquer également au cognac, particulièrement prisé aux États-Unis, ainsi qu'à l'ensemble des whiskys et vins européens. «On s'est rapproché dès début 2018 de la Commission européenne» pour avertir qu'une taxe sur les whiskys américains exposait à des mesures de représailles, se souvient Karen Betts, directrice de l'Association du whisky écossais. Or, l'UE a plus à perdre dans cette bataille puisqu'elle exporte plus de spiritueux vers les États-Unis que l'inverse.
Les grandes entreprises du secteur étant souvent des multinationales vendant aussi bien du whisky, de la tequila que du cognac, pas question a priori de protéger un alcool plutôt qu'un autre. Sous la houlette des organisations représentant le secteur à Bruxelles, SpiritsEurope, et à Washington, Discuss, les associations de chaque pays travaillent en étroite collaboration, assure Mme Betts.
(L'essentiel/afp)