Viviane Reding«Ne pas rester les bras croisés»
LUXEMBOURG - Quota de femmes, bourses d'études, loi de la protection des données... La vice-présidente de la Commission européenne s'est entretenue avec «L'essentiel Online».

«Depuis que j’ai été élue, la proportion de femmes dans les conseils de surveillance de sociétés cotées est passée de 5 à 10%».
L’essentiel Online: Vous voulez instaurer un quota féminin à l’échelle européenne? Pourquoi en avons-nous besoin?
Vivane Reding, vice-présidente de la Commission européenne et commissaire européenne à la justice: Pendant des décennies, la mixité volontaire des patrons n’a pas rencontré de succès. La proportion de femmes dans les plus hautes instances de décision des sociétés est de 16%, bien que 60% des diplômés universitaires soient des femmes. Des études scientifiques montrent que les entreprises génèrent de meilleurs résultats lorsque des décisions sont prises entre des hommes et des femmes. Actuellement, ce potentiel est gaspillé. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés.
Si les États membres et le Parlement européen sont d’accord, votre projet d’un quota de 40% des femmes ne concerne que les conseils d’administration des sociétés cotées en Bourse. Pourquoi?
Nous ne pouvons légiférer que dans certains domaines. Il serait difficile d’intervenir dans la gestion d’une entreprise privée. Par conséquent, j’ai choisi ce qui est faisable. Le quota pour les conseils d’administration conduit à une plus grande visibilité des femmes dans les postes de haut niveau. De plus, le débat sur le quota des femmes fait déjà bouger les choses.
Vous avez trois enfants et vous avez fait carrière en politique. Comment avez-vous réussi?
C’était un travail difficile. Je me suis fixé des objectifs clairs. Mais il faut aussi avoir de la chance. Parce que je connais les difficultés, il est de mon devoir de changer les mentalités.
Le Grand-Duché hésite dans la mise en œuvre d’une loi pour instaurer ce quota…
Le Luxembourg attend encore, mais a déjà fait une avancée. Depuis que j’ai été élue, la proportion de femmes dans les conseils de surveillance de sociétés cotées est passée de 5 à 10%. J’ai donné un coup de pied dans la fourmilière.
Autre sujet qui concerne le Luxembourg et la Commission européenne: le non-versement des bourses d’études supérieures aux enfants de frontaliers. Quelle est votre opinion (l’interview a été menée avant les conclusions de l’avocat général, jeudi)?
Le Luxembourg est un des pays qui reçoit des étudiants étrangers à bras ouverts. Il suffit de voir les étrangers à l’Université de Luxembourg. En ce sens, le pays fait preuve d’ouverture. Le versement des bourses est une question qui doit être résolue par la Cour européenne.
Même question avec la taxe sur les transactions financières: le Luxembourg ne l’adoptera pas et préfère préserver ses intérêts nationaux…
Onze États ont convenu, avec l’assentiment des autres pays, à introduire cette taxe. Parfois, vous avez besoin d’aller de l’avant. Il est important de trouver un déclencheur pour avancer, plutôt que d’attendre des retardataires.
Vous travaillez actuellement sur les nouvelles règles de la protection des données à l’échelle européenne. Quelles sont les innovations pour un utilisateur de Facebook, de Gmail ou d’Amazon?
Nous voulons d’abord renforcer les droits des individus. Les données personnelles appartiennent aux citoyens et non aux entreprises. Si les données sont piratées ou perdues, l’utilisateur doit en être informé. Si les entreprises veulent des données, elles doivent demander l’autorisation. La deuxième partie concerne les nouvelles entreprises. Par exemple, si une société IT veut s’implanter au Luxembourg pour desservir le marché européen, elle doit se fonder sur la loi des 27 États membres. Il s’agit d’un effort énorme et très couteux. Le nouveau règlement entraînera des économies de 2,3 milliards d’euros.
Qu’en est-il de la suppression des données? Actuellement, si un utilisateur, par exemple, efface certaines données sur Facebook, le groupe les conserve.
Si ce sont mes renseignements personnels et que je veux les retirer, une entreprise doit satisfaire ce désir. Le problème est que de nombreux groupes importants ne se soumettent pas au système juridique européen. Pour appliquer la loi, il faudrait des sanctions pour dissuader. La nouvelle réglementation prévoit des pénalités d’un montant de 2% du bénéfice global. C’est beaucoup d’argent, les entreprises vont réfléchir à deux fois sur l’intérêt de respecter les lois européennes ou non.
Allez-vous créer un profil sur Facebook, si les règles de confidentialité sont changées?
Peut-être. Je n'ai pas un problème avec Facebook ou Google. Ce sont des inventions géniales. Mais ils doivent suivre des règles.
Il y a un débat en cours sur les salaires élevés des fonctionnaires de l'UE. Pouvez-vous comprendre cette discussion?
Ce débat est inutile. 94% du budget de l’UE sera remboursé aux États membres pour, par exemple, la construction de routes ou la réintégration de chômeurs dans la vie active. L’administration de l’UE est très petite. Elle s’occupe des intérêts de 500 millions de citoyens, et il y a moins de fonctionnaires que pour la ville de Paris. L’UE compte 55 000 fonctionnaires et la Grande-Bretagne, six millions.
La question des salaires est inutile. Et au Luxembourg, elle se pose encore moins. Il est difficile de trouver des résidents luxembourgeois qui veulent travailler à la Commission européenne. La première raison est que le concours d’entrée est très dur, seuls 200 des 50 000 candidats sont pris. La deuxième raison, c’est le salaire d’un débutant, qui est de 1 000 euros en dessous du salaire d’un fonctionnaire d’état débutant au Luxembourg.
Ces derniers mois, les difficultés financières des pays membres étaient au cœur des débats. Regrettez-vous que la crise ait provoqué autant de remous dans l’Union européenne?
La crise financière en Europe nous a aidés à faire des progrès dans l’union monétaire, avec la mise en place d’une union bancaire et un travail sur les budgets nationaux. Deux ou trois ans plus tôt, cela aurait été impossible. En peu de temps, une vague de mesures de nature structurelle a été mise en pratique, ce qui représente une révolution. Il faudrait sensibiliser les citoyens. C’est arrivé si vite qu’ils n’ont pas vraiment remarqué, et certains politiciens de Parlements nationaux ont certainement aussi du mal à expliquer les changements.
Ça pourrait être le rôle de l’UE, de fournir cette explication?
C’est pour cette raison que nous avons mis en place avec le Parlement, l’Année européenne du citoyen 2013 (http://europa.eu/citizens-2013/fr/home). L’Europe avance et les citoyens ne sont pas au courant: nous voulons réduire ce fossé.
(Kerstin Smirr/L'essentiel Online)