Un monde qui vacille: «Pour tout ce que nous lui infligeons, la Terre nous punira»

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Un monde qui vacille«Pour tout ce que nous lui infligeons, la Terre nous punira»

David Daley, éleveur de chiens de traineau, vit aux portes de l’Arctique canadien dans un monde qu’il a de plus en plus de mal à reconnaitre.

Canadian musher David Daley, pose with his son Wyatt Daley in CHurchill, northern Canada, on August 10, 2022. - Churchill is a small isolated town on the edge of Hudson Bay, where global warming is three times faster than elsewhere in the world and where the sea ice is gradually disappearing. (Photo by Olivier MORIN / AFP)

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Nous sommes à Churchill, petite localité isolée, en bordure de la baie d’Hudson où le réchauffement climatique est trois fois plus rapide qu’ailleurs dans le monde et où, progressivement, la banquise disparaît.

Comme ses ancêtres du peuple métis, l'un des trois groupes autochtones du Canada, ce grand-père de 59 ans vit en communion avec la nature entouré de ses 46 chiens, là où finit la toundra et où commence la forêt boréale.

Chaque année, il redoute l'arrivée toujours plus tardive de la neige. «Mes chiens attendent l'hiver, comme nous tous», dit-il. «Cette culture est en train de mourir». Eté comme hiver, David Daley sillonne cette région connue pour ses aurores boréales où règnent rocailles, mousses, hautes herbes et forêts d'épinettes noires. Il y chasse depuis toujours et il a vu de près la faune et la flore changer. «Quand j’étais enfant, je chassais, pêchais et trappais ici et il n’y avait presque pas d’élans, maintenant il y en a partout», décrit l’homme. «C’est la même chose pour les tétras à queue fine et pour les martres...»

Un constat qui fait écho aux études scientifiques : le réchauffement climatique met en danger les espèces arctiques, notamment en ouvrant les portes à d’autres animaux venus du Sud. Ici, les animaux comme la végétation migrent vers le Nord. Pour David Daley, les humains n’ont «pas le choix», il leur faut s’«adapter» comme les animaux sont contraints de le faire.

L’ours dans la ville

L’adaptation passe notamment par une coexistence à réinventer avec l’animal emblématique de la région: l’ours polaire. Le réchauffement climatique réduit le temps où la baie d’Hudson est gelée et force les ours blancs de la région à rester plus longtemps qu’avant sur la terre ferme pendant l’été. Les mois de cohabitation avec l’homme sont plus longs et le carnivore, plus faible, s’approche de plus en plus de la ville.

S’aventurer autour de Churchill nécessite certaines précautions: un fusil, du répulsif et ne jamais marcher seul à la nuit tombée ou par visibilité réduite.

C’est encore plus compliqué à l’automne, quand les ours sont affamés après des mois de jeûne sur la terre ferme, sans un phoque à l’horizon. Pour la nuit d'Halloween, le 31 octobre, un dispositif spécial est mis en place, raconte Ian Van Nest, agent pour la sauvegarde de la faune. Fusil en bandoulière et talkie-walkie à la ceinture, le trentenaire à la mine sévère multiplie ce jour-là les patrouilles avec ses collègues. Même les hélicoptères sont de sortie pour repérer les ours qui rodent et permettre aux enfants d'aller récolter des bonbons.

La ville s’est dotée de nouveaux radars qui permettent de détecter les ours à moins de deux kilomètres des premières maisons, même de nuit, même dans le brouillard. Autour de Churchill, la population d’ours polaires, bien qu’en baisse depuis les années 1980, est estimée à 800 individus... autant que d’habitants dans la ville.

Opportunités

Tout le monde ne voit pas ces changements liés au climat d'un mauvais œil. «Il faut chercher les points positifs dans tout cela», dit le maire de Churchill Michael Spence, membre du peuple Cri. L'évolution du tourisme et le développement du port, à la faveur des hausses de température, «sont aussi des opportunités de croissance économique pour la population locale», estime l'édile qui a grandi ici. Mais ces perspectives sont entravées par une autre conséquence du réchauffement: le dégel des sols, qui fait bouger le paysage donc les rails, compliquant l'acheminement des matières premières jusqu'au port.

A Churchill, entre la gare proprette et les graffitis géants d'ours polaires, de nombreuses maisons sont délabrées, rafistolées à la hâte. Parfois, ce sont de simples préfabriqués posés sur des parpaings, semblant peu adaptés aux températures hivernales qui atteignent souvent les -40° Celcius.

Ici, 64% des enfants vivent sous le seuil de pauvreté. Une situation qui relègue pour certains la question de l'environnement au second plan. Le trappeur David Daley rêve d'un sursaut : «Nous devons, en tant qu'autochtones, mener la réconciliation avec notre mère, la Terre». Les experts climat de l'ONU (Giec) le disaient déjà dans leur rapport de mars, les connaissances intimes de la nature des peuples doivent être prises en compte dans la lutte contre le changement climatique.

(AFP)

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