Législatives allemandes«Poutine serait heureux avec un autre chancelier»
Berlin en est convaincu depuis deux ans, la Russie a voulu déstabiliser Angela Merkel par des piratages informatiques.

L'Allemagne est convaincue que la Russie tente de déstabiliser la chancelière en misant sur la droite dure antimigrants. Avant et pendant toute la campagne électorale, un parti a eu les honneurs de médias sous contrôle du Kremlin: l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), une formation qui a mené un combat particulièrement agressif contre la chancelière, une «traîtresse» qui a ouvert les portes du pays en 2015, à des centaines de milliers de demandeurs d'asile musulmans.
Des dirigeants de ce parti, crédité d'un score historique de 10-12% lors des législatives allemandes de dimanche, selon les sondages, ont aussi été reçus à Moscou cette année, notamment par le président de la Chambre basse du Parlement, Viatcheslav Volodine.
Il n'en faut guère plus pour faire naître le soupçon, toujours démenti par la Russie: Moscou veut influencer les choix politiques des «Russlanddeutsche», ces quelque 2,5 millions d'immigrés venus d'ex-URSS pour s'installer en Allemagne avant et après 1991, et qui y forment le plus grand groupe électoral d'origine étrangère.
«La peur (des Russes-allemands) a été entretenue par les télévisions russes qui présentaient l'arrivée massive de migrants en Europe comme une catastrophe pour eux et ça a réactivé leur traumatisme», explique un représentant de cette communauté à Berlin, Alexander Reiser.
Si les médias allemands ont cherché sans succès des preuves de liens directs entre l'AfD et la Russie, les tentatives d'instrumentalisation de la communauté ont, elles, été pointées comme des évidences dès 2015 avec le prétendu viol d'une adolescente germano-russe par des migrants.
Affaire Lisa
La jeune fille avait reconnu avoir menti sur son agression mais «l'affaire Lisa», largement relayée par des médias russes et le chef de la diplomatie, Sergueï Lavrov, avait fait descendre dans la rue une partie des russes-allemands et l'extrême droite. «Ça a été le moment de la prise de conscience», explique sous couvert d'anonymat, un responsable gouvernemental proche d'Angela Merkel.
Du coup Berlin a choisi une stratégie frontale pour se prémunir des tentatives de déstabilisations. «On peut imaginer que le président russe Vladimir Poutine serait heureux avec un autre chancelier» qu'Angela Merkel, a ainsi jugé le patron du Renseignement intérieur, Hans-Georg Maassen, dont les services ont planché notamment sur les cyberattaques russes.
En 2015, la Chambre des députés avait été victime d'un piratage informatique massif concernant l'équivalent d'un million d'e-mails, notamment ceux de députés ayant accès à des dossiers sensibles. Ils ne sont jusqu'ici pas réapparus sur le Net, mais les experts ont en tête les «Macronleaks» intervenus à la veille du second tour de la présidentielle française.
«La plus grande menace pourrait venir d'une campagne médiatique alimentée par des documents volés», résume Sven Herpig, expert en cybersécurité au sein du think-tank allemand, Neue Verantworung.
«Pas paniquée»
Angela Merkel en personne, dont les services ont aussi été piratés en 2016, a elle bénéficié d'une formation accélérée en la matière. «Elle voulait vraiment comprendre au niveau technique les implications politiques, elle était vraiment intéressée mais pas vraiment paniquée. J'ai l'impression qu'elle avait déjà pris la mesure de l'ampleur du sujet», se souvient le professeur Simon Hegelich.
Cet expert de l'université technique de Munich a expliqué en novembre dernier à la chancelière le fonctionnement des «bots», ces algorithmes relayant les «fake-news» à toute allure. De son côté, le BBK, l'organisme allemand chargé de la réaction aux catastrophes et crises graves, a prévu un plan d'urgence pour informer la population en cas de diffusion massive de fake-news, selon le journal Süddeutsche Zeitung.
Le ministre allemand de l'Intérieur, Thomas de Maizière, s'est félicité mercredi de cette stratégie d'endiguement, relevant n'avoir «aucune indication d'une interférence de Poutine dans l'élection. Peut-être ont-ils renoncé, ou peut-être que ça va finir par arriver».
(L'essentiel/nxp/afp)