Analyse de la Constitution – Retiré des listes, le Grand-Duc peut-il voter?

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Analyse de la ConstitutionRetiré des listes, le Grand-Duc peut-il voter?

LUXEMBOURG - Les citoyens se rendront aux urnes dimanche prochain, le Grand-Duc aussi? Réponse avec Luc Heuschling, professeur à l’Uni et auteur du «Citoyen Monarque», paru en septembre.

Luc Heuschling est professeur en Droit constitutionnel et administratif à l'Université du Luxembourg.

Luc Heuschling est professeur en Droit constitutionnel et administratif à l'Université du Luxembourg.

DR/University of Luxembourg

Est-ce que, dans la loi actuelle, le Grand-Duc peut voter?

Dans la loi, comme dans la Constitution, il n’y a aucune disposition explicite qui indique que le Grand-Duc n’a pas de droit de vote. Les critères d’exclusion sont énoncés: l’âge, la nationalité, une condamnation judiciaire… Pareil pour sa famille: rien ne dit que Maria Teresa ne peut pas voter. Mais à l’heure actuelle, l’administration de la Ville de Luxembourg considère que le Grand-Duc et sa femme n’ont pas ce droit.

A-t-il le droit d’être élu?

C’est pareil, en principe oui mais selon moi, il n'a pas le droit. Implicitement, l’Article 33, qui indique que le chef de l’État «est un symbole», doit donc le placer au-dessus des partis. S’il se présentait à une élection, sous une bannière, même si c’était «le parti du Grand-Duc», il serait clairement affilié. Et au pire, s’il était élu comme député, par exemple, il devrait renoncer à sa place de Grand-Duc et la question ne se poserait plus sur sa neutralité à la tête de l’État. Dans une République, ça irait, mais pas dans notre monarchie.

Justement, dans votre livre vous parlez de «monarchie de façade» pour définir la monarchie constitutionnelle, comme celle du Luxembourg...

Elle est de plus en plus «de façade» mais c’est le but recherché d'une certaine «démocratisation»: le pouvoir est donné au peuple, l'inverse de la monarchie. En quoi subsiste-t-elle alors? La monarchie, c’est le droit de se soustraire à un concours ou des élections: le Grand-Duc nomme les hauts fonctionnaires par exemple. Aujourd'hui nous approchons d'une monarchie électorale plus que d’une monarchie héréditaire. Au Luxembourg, il subsiste le droit princier, le fait de désigner son successeur.

En réalité, le Grand-Duc n’a plus de pouvoir depuis sa prise de position contre la loi sur l’euthanasie…

Exactement, car la Constitution était floue. Dans l’Article 34, on a rayé le mot «sanctionne» de la phrase «le Grand-Duc sanctionne et promulgue les lois», car dans l’esprit du XIXe siècle, «sanctionne» signifie qu’il a «un droit de veto». Les juristes ont dit que c’était un mot du XIXe siècle et que cela ne voulait plus dire la même chose aujourd’hui: en résumé, il n'a pas le choix. Nous avons aussi l'Article 1 qui dit que «le Grand-Duché est État démocratique». Il faut donc lire le reste de la Constitution à la lumière de cette démocratie.

Faut-il clarifier la Constitution?

Oui, mais même le nouveau texte préparé actuellement ne clarifie pas, par exemple, la question de savoir si le Grand-Duc pourrait refuser la nomination d'un candidat qui lui est soumis pour un poste. En résumé, il faudrait que le texte énonce clairement «le Grand-Duc doit nommer ceux que le gouvernement lui propose et peut (ou ne peut-pas) les refuser dans l’intérêt du pays».

La vraie révolution ne viendrait-elle pas du discours de Noël de 2004, lorsque Henri a annoncé vouloir son droit de vote?

Une révolution culturelle et juridique. Au XIXe, le monarque ne voulait sûrement pas se mélanger au peuple, car le Parlement, qui représente le peuple, est son alter ego. Mais le Grand-Duc Henri, par exemple, commence son discours avec «chers concitoyens»: il se considère comme membre du peuple.

De quand date cette volonté d’être proche des citoyens?

En 1919, Charlotte disait qu’elle ne «voulait pas être séparée de mon peuple», et qu’elle voulait partager ses souffrances et ses joies. C’est une autre position du chef de l’État. Mais jusqu’en 1945, il ne s’est rien passé en terme juridique.

Et en 1945?

Les membres de la famille grand-ducale ont commencé à être inscrits sur les listes électorales. En 1945, le mari, les enfants, les sœurs et frères sont inscrits, la seule exclue est Charlotte.

Pourquoi?

Sans doute dans un esprit de classe, car elle pouvait être inscrite. D’ailleurs, ce qui est étrange, c’est que même à son abdication, elle n’était toujours pas inscrite alors qu’il n’y avait plus de raison. Contrairement à elle, Jean (NDLR: comme Joséphine-Charlotte), en 2000, est redevenu un citoyen inscrit sur les listes. C’est pareil pour Maria Teresa, qui est Grande-Duchesse consort et donc n’a pas de rôle de chef d’État. Pourtant depuis 2000 elle est rayée des listes.

Les enfants sont-ils inscrits aujourd’hui?

Il n’y aurait pas de raisons de ne pas l’être. D’ailleurs ils sont sur les listes. La question, c'est le droit de vote passif de Guillaume. Le Grand-Duc héritier devrait logiquement respecter le même principe de neutralité pour ne pas être affilié à un parti lorsqu’il accédera au pouvoir. Au Danemark, l’héritier n’est pas inscrit sur les listes.

Vous avez étudié une dizaine de monarchies, plusieurs systèmes sont possibles, et la majorité d’entre elles ont ce que vous appelez un «citoyen monarque»...

La majorité des monarchies en Europe et au Japon ont un chef d'État qui a au moins un droit de vote, et aussi le droit d’être élu. Le meilleur exemple c’est l’Espagne: le roi a voté pour le référendum en 2004.

Est-il donc possible, de nos jours, d’être dans une monarchie constitutionnelle qui donne le droit de vote et d’être élu à son monarque?

Oui. Par contre, si un jour, notre Grand-Duc utilise le droit, on aurait un problème majeur de neutralité qui écartera surement les textes actuels. Il faudrait revoir la Constitution.

Ou devenir une République.

Oui! À force de désacraliser la famille grand-ducale, on peut se demander à quoi bon garder une monarchie? «Finalement, ils sont comme nous…», pourrait-on dire. La monarchie aujourd’hui se justifie par une raison «divine» ou traditionnelle, car nous considérons que ce sont des êtres à part. Si cette idée disparaît, il n’y aura plus de raison de justifier la monarchie. Au Luxembourg, la tradition qui justifie la monarchie, c’est l’exemple d'une Charlotte victorieuse en 1919.

(Propos recueillis par Jonathan Vaucher/L'essentiel Online)

Le citoyen monarque

Réflexions sur le Grand-Duc, la famille grand-ducale et le droit de vote

Luc Heuschling

Éditeur: Promoculture-Larcier

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