Daech/TerrorismeUne «menace majeure» a été éliminée, et après?
Joe Biden a assuré, jeudi, que les forces américaines avaient «éliminé une menace terroriste majeure» avec la mort du chef de l'EI. Mais des experts mettent en garde.

Amir Mohammed Saïd Abdel Rahman al-Mawla, jihadiste aux multiples alias, se faisait appeler «l'émir» Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi à la tête de l'EI.
Le président américain Joe Biden a assuré, jeudi, que les forces américaines avaient «éliminé une menace terroriste majeure», en conduisant, avant l'aube, une opération commando au cours de laquelle a été tué le chef du groupe État islamique, Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi, lors d'une déclaration télévisée. Des forces spéciales américaines ont été héliportées dans une région du nord-ouest de la Syrie, lançant l'assaut contre al-Qourachi avant qu'il ne déclenche une bombe qui l'a tué ainsi que des membres de sa famille dont des femmes et des enfants, avait indiqué plus tôt un responsable de la Maison-Blanche.
«C'est évidemment un revers majeur» pour l'EI, explique Hans-Jakob Schindler, ancien expert des Nations unies devenu directeur de l'ONG américaine Counter Extremism Project (CEP). «Bien sûr, ils vont devoir trouver un nouveau leader et avancer un nom à ce stade serait pure spéculation (...). Mais l'erreur serait de croire que tout est fini, ou que ça va mieux, après cette élimination et compte tenu du faible nombre d'attaques en Europe et aux États-Unis» récemment.
«Nous sommes à vos trousses», a martelé jeudi Biden aux leaders de groupes terroristes dans le monde.
«Le destructeur»
Surnommé «le professeur» ou le «destructeur», le chef du groupe État islamique (EI) dont Joe Biden a annoncé la mort jeudi, était relativement inconnu mais a su maintenir la stratégie et l’activité du groupe sous son règne de moins de deux ans. Amir Mohammed Saïd Abdel Rahman al-Mawla, jihadiste aux multiples alias, se faisait appeler «l'émir» Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi à la tête de l'EI. Avant son accession à la direction de la nébuleuse terroriste après l'élimination de son prédécesseur Abou Bakr al-Baghdadi fin 2019, il avait présidé au massacre de la minorité kurdophone des Yazidis.

La piste qui menait à cet homme d'origine turkmène, né probablement en 1976, semblait incertaine dans une organisation dont tous les dirigeants étaient auparavant arabes. Cet ancien officier de l'armée de Saddam Hussein, diplômé de l'université des sciences islamiques de Mossoul, s'engage dans les rangs d'Al-Qaïda après l'invasion américaine en Irak et la capture de Saddam Hussein en 2003, selon l'ONG américaine Counter Extremism Project (CEP).
Une réputation d'homme brutal
Il est incarcéré en 2004 dans la prison américaine de Camp Bucca (sud de l'Irak), considérée comme la pépinière du jihadisme au Levant, où il rencontre Baghdadi. Libéré pour raisons inconnues, il s'engage aux côtés de son camarade de détention, lequel prend en 2010 le contrôle de la branche irakienne d'Al-Qaïda avant de créer successivement l'État islamique en Irak, puis l'État islamique en Irak et en Syrie (Daech en arabe). Selon le CEP, «Mawla s'est rapidement hissé au sein des rangs supérieurs de l'insurrection, acquérant une réputation d'homme brutal, notamment via l'élimination des opposants de l'émir au sein d'EI.
Sa ville natale de Tal Afar, à 70 kilomètres à l'ouest de Mossoul, voit proliférer les ateliers d'explosifs et les projets d'attentats. «Outre ses responsabilités dans un tel terrorisme de masse, "Abou Omar le Turkmène" joue un rôle majeur dans la campagne jihadiste de liquidation de la minorité yazidie par les massacres, l'expulsion et l'esclavage sexuel», soulignait récemment Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris, spécialiste du jihadisme. Mawla a essayé de redonner vigueur et activité à un groupe qui a perdu le territoire qu'il avait occupé à cheval sur l'Irak et la Syrie lors de l'existence de son «califat» (2014-2019).
L'EI prépare toujours la succession de ses chefs
«Sous son règne, il a quand même œuvré au retour au premier plan de l'EIK (pour EI au Khorassan, en Afghanistan, NDLR) bien avant l'arrivée des Talibans au pouvoir», explique Damien Ferré, directeur de la société Jihad Analytics spécialisée sur l'analyse du jihad mondial et cyber. Depuis, l'EIK est devenu la principale menace au régime des talibans en Afghanistan, frappant l'aéroport de Kaboul pendant le retrait américain d'aout 2021 et entretenant un danger constant avec le pouvoir islamiste de Kaboul.
Plusieurs chercheurs pointent aussi l'activité de l'EI dans la région du lac Tchad, notamment en intégrant une partie des effectifs de la secte Boko Haram, ainsi qu’en Afrique centrale. «Sur le plan opérationnel sous son règne, l'EI a repris des couleurs en 2020 avant de baisser tant sur la qualité que sur la quantité d'attaques au cours de l'année dernière», ajoute Damien Ferré, même si l'organisation continue d'être active dans la zone irako-syrienne comme l'a encore montré l'attaque de janvier contre une prison contrôlée par les forces kurdes pour faire évader des jihadistes.
Les experts relèvent que l'EI prépare toujours la succession de ses chefs. Mais aucune info étayée n'a filtré ces derniers mois sur la personne qui pourrait lui succéder à la tête d'un groupe qui a, à l'image de son grand rival al-Qaida, toujours survécu à la mort de ses dirigeants.
(L'essentiel/afp)