LégislationVoir du streaming n’est pas illégal au Luxembourg
LUXEMBOURG - Alors que «l'affaire Megaupload» secoue le monde de l'informatique, «L'essentiel Online» a interrogé un avocat sur l'illégalité du streaming au Grand-Duché.

Stéphan Le Goueff, avocat au Luxembourg.
Parmi les chefs d’inculpation qui ont conduit à la fermeture de la plate-forme de téléchargement Megaupload, on trouve la violation du droit d’auteur. Que dit la loi?
Stéphan Le Goueff: Comme dans de nombreux pays, on ne peut pas reproduire ou distribuer une œuvre sans l’autorisation de son auteur. L’auteur jouit du droit exclusif d’en autoriser sa reproduction de quelque manière et sous quelque forme que ce soit (art. 3 de la loi modifiée sur les droits d’auteur du 18/4/2001) et sa communication au public par un procédé quelconque (art. 4).
Le téléchargement illégal étant interdit et sanctionné, depuis quelques années, les internautes semblent s’être tournés vers le streaming, qui permet de visionner du contenu sans le télécharger sur son ordinateur. Est-ce tout aussi illégal?
C’est le même principe: il faut le consentement de l’auteur pour placer une œuvre en streaming sur Internet. Avec son accord, c’est possible. Le streaming n’est pas illégal en soi, ce sont les conditions dans lesquelles il est utilisé qui peuvent l’être. L’exemple le plus simple c’est YouTube. Les œuvres présentes sur le site ne portent pas atteinte aux droits d’auteur. Dans le cas où une vidéo diffusée sur Youtube l’aurait été en violation des droits d’auteur, la vidéo peut être retirée à la demande de l’auteur ou du détenteur des droits. D’ailleurs, lorsqu’on ajoute une vidéo sur YouTube, le site demande si on est détenteur de ces droits.
Que risque une personne qui télécharge illégalement?
Des sanctions civiles et pénales. Au civil, le tribunal peut demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi. Ce sont les tribunaux qui fixent le montant sur la base d’un certain nombre de facteurs (art. 74a) et b)). Il peut également y avoir une sanction pénale, relative au délit de contrefaçon: une amende. C’est aussi le cas pour toute personne (NDLR: donc celui qui a publié le contenu) qui communique, met à la disposition du public, met en circulation, à titre onéreux ou gratuit, une œuvre sans autorisation de l’auteur.
Et concernant le streaming? Qui est responsable: l’hébergeur, celui qui met l’œuvre en ligne ou celui qui regarde?
Si l’hébergeur du site Internet est au courant du contenu illicite et qu’il ne fait rien, il pourrait être inquiété. Lorsqu’on visionne du contenu, on ne fixe pas sur un support. C’est essentiellement le site qui offre des contenus en streaming sans le consentement des auteurs qui est visé. Ces dispositions ne semblent, pour le moment, pas être dirigées contre le particulier qui visualise. Il reste toutefois à voir l’interprétation qu’en feront les tribunaux. Il n’y a à notre connaissance aucune décision des tribunaux luxembourgeois ayant condamné un internaute pour avoir visionné du contenu en streaming.
Quelle est la sanction prévue?
La sanction est une amende de 250 à 250 000 euros (art. 83) ainsi que la confiscation des œuvres contrefaisantes. Dans le cas de l’hébergeur, le tribunal peut ordonner la fermeture définitive ou temporaire de l’établissement exploité. Ainsi, si une société, opérateur de site, à Luxembourg, devait mettre à disposition du public des œuvres en streaming sans le consentement des auteurs, cette société pourra, en cas de récidive, faire l’objet d’une ordonnance de fermeture. Le scénario d'un «Megaupload luxembourgeois» reste hypothétique mais n’est pas complètement inenvisageable.
Comment faire pour mettre un contenu, payant ou gratuit, en ligne, sans avoir de problèmes?
Il faut avoir l’accord du titulaire des droits. C’est lui qui peut autoriser sa reproduction ou sa diffusion. Il existe toutefois quelques exceptions à ce droit exclusif. En effet, l’auteur ne peut interdire la reproduction sur tout support par une personne physique pour son usage privé et à des fins non commerciales (art. 10(4). Cette exception suppose toutefois qu’il s’agisse de la reproduction d’une œuvre acquise légalement.
Lorsque je mets ma photo sur Facebook ou un texte sur un forum, c’est aussi soumis au droit d’auteur?
La photo peut éventuellement être soumise au droit d’auteur du photographe si la photo est considérée comme une œuvre originale. Celui qui est pris en photo peut lui se prévaloir d’un droit à l’image sous certaines conditions. Une personne peut donc en principe s’opposer à la diffusion de sa photo sur Internet par un tiers. C’est pareil pour le texte, qui est protégé, sans avoir à le déposer comme une marque ou un brevet.
À votre connaissance, y a-t-il eu de nombreuses plaintes au Luxembourg d’artistes concernant des problèmes de droit d’auteur?
Je n’ai pas connaissance d’affaire spécifiques devant les tribunaux luxembourgeois pour des problématiques liées au téléchargement ou au streaming illégal.
Propos recueillis par Jonathan Vaucher/L'essentiel Online
Streaming
Le streaming est une méthode de diffusion de données sur Internet en flux continu. Ce moyen permet, notamment, d'écouter un flux audio ou vidéo à mesure qu'il est diffusé (vidéo à la demande, podcast). Théoriquement, l'utilisateur ne télécharge donc pas de données sur son ordinateur en vue de l'utiliser. Mais, comme le précisent certains tribunaux, la mise en mémoire du flux dans la mémoire cache de l'ordinateur consiste en un téléchargement de données, bien que provisoire.
Stéphan Le Goueff est fondateur du cabinet LG@vocats et avocat au barreau de Luxembourg depuis 1995. Conférencier à l’Université de Paris XI, anciennement au Barreau de Paris et New York, il est également l’auteur de plusieurs livres sur ses spécialités, le droit des nouvelles technologies et la propriété intellectuelle.
Et ailleurs?
En France, la loi indique que l'internaute visionnant ou écoutant une œuvre protégée en streaming n'est pas considéré comme un complice du délit de contrefaçon: il n'a pas «facilité la préparation ou la consommation» (article 121-7 du Code pénal). Mais selon les cas, il peut être considéré comme receleur. Dans ce cas, le recel «est le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit» (article 321-1 du Code pénal). Le streaming étant très souvent volontaire, le visionnage est en «connaissance de cause». Les données étant enregistrées dans un répertoire de cache sur l'ordinateur de l'internaute, il détient donc une contrefaçon. Le recel peut être aussi constitué en cas de «bénéfice du produit du délit», ce qui est le cas.
En Allemagne également, la loi ne prévoit pas d'amender celui qui visionne un streaming. Les interprétations varient selon les Tribunaux qui estiment la possession des œuvres sur le cache de l'ordinateur comme un délit de contrefaçon.
Dans tous ces pays comme au Luxembourg, la personne qui a mis l'œuvre en ligne et l'hébergeur, conscient du délit, sont responsables devant la loi.